2 octobre 2013
« Cet article a d’abord été publié sur www.lelibraire.org, le site du bimestriel des librairies indépendantes du Québec. »
Une certaine polémique entoure l’écrivain canadien et professeur de littérature à l’Université de Toronto David Gilmour. Sur le lieu d’échange électronique de la maison d’édition Random House, il a écrit à l’intention de ses étudiants : « Ce que j'enseigne, ce sont les mecs ». Il affirme que lorsqu’on lui a proposé le poste de professeur, il avait déjà averti ne vouloir enseigner que ce qu’il aime. Par conséquent, comme il n’aime aucun écrivain de la gent féminine, il ne les enseigne pas. Il y aurait bien peut-être Virginia Woolf qui en serait digne, mais il estime que pas un de ses élèves ne serait en mesure d’accéder à une véritable compréhension de ses œuvres.
Non, ce qui intéresse le prof Gilmour ce sont « les gars. Les gars sérieusement hétérosexuels ». Il avoue aussi n’aimer aucun écrivain canadien ni chinois. Un brin sexiste, homophobe et raciste, me direz-vous ? En effet, étonnant de voir un homme de lettres si peu nuancé.
Selon le principal intéressé, on aurait déformé ses propos, bien qu’ils aient été écrits en toutes lettres sur la plateforme susmentionnée. Car même décontextualisée, une phrase comme « Ce que j'enseigne, ce sont les mecs » reste « Ce que j'enseigne, ce sont les mecs ».
Gilmour revendique : « J'ai été négligent avec mes paroles. Je les ai dites d'une telle manière qu'elles peuvent être interprétées comme dénigrantes, dédaigneuses. » Il continue en déclarant qu’il était distrait car au même moment où il écrivait, il conversait en français avec un collègue. On veut bien le croire mais « être négligent avec ses paroles » quand on est écrivain, il faut s'attendre à ce que cela suscite quelques réactions.
Il s’explique encore : « Je pense que quiconque enseigne Truman Capote ne peut pas être attaqué pour être un anti-quelque chose. » Capote, tout le monde le sait, était homosexuel. Pourquoi Gilmour a-t-il alors enflé ses propos? D’autant plus qu’il a une responsabilité en tant qu’enseignant, celle de donner une parole juste, claire, en lien avec un souci pédagogique.
Il y en aura peut-être pour dire que la responsabilité n’existe pas, que chacun a droit à ses manières, que c’est plutôt à celui qui reçoit les informations de séparer le bon grain de l’ivraie, d'étayer sa propre pensée. Après tout, nous sommes dans un pays libre, entendons-nous dire un peu partout. Bien qu’il soit tout à fait louable de militer en faveur de la liberté d’expression, il est tout de même légitime de se demander s’il est acceptable de pouvoir tout dire, n’importe comment, n’importe où, à n’importe qui. Les déclarations à l’emporte-pièce de David Gilmour laissent néanmoins perplexes. Si les mots de Gilmour ont le droit d’être prononcés, nous sommes aussi en droit de les remettre en question.